Camps

Rapport au Major Général Ynalsam (Snaham), 1945
Rapport trouvé à l'archive de Neuengamme le 15-12-06 sous le nr. 1484

Camp de concentration de Hamburg-Neuengamme
Commando de travail de Schandelah (Brauschweig)
et Wöbelin (Ludwiglust)

Wöbelin était un camp en voie de construction. Les Allemands y ont rassemblé les convoie évacués de divers camps de concentration du territoire conquis par les Américains. Depuis le 10 avril ils y ont groupe environ 4.000 hommes. En trois semaines, ils y ont tué ou laissé mourir 1.200 prisonniers.

Aux derniers jours, on y vivait dans, l'horreur indescriptible : la vaste cour était jonchée de cadavres, pauvres camarades tombés là d'épuisement et que personne ne relevait. A l'infirmerie - espèce d'étable qui punit la pourriture - les cadavres s'allongeaient entre les mourants, et la corvée des morts retirait tous les jours pêle-mêle les uns et les autres. On entassait les victimes devant le W.C. Il arrivait qu'un mourant se réveille et essaie de se trainer hors du charnier, les surveillants l'y ramenaient ou l'achevaient à coups de bottes. Il était défendu de revivre. Les vivants affamés jonchaient le sol des blocs ou la cour. Pas de lits, pas de paille ,de litière, pas de nourriture. Ces hommes déjà sous-alimentés par des mois ou des années de camp de concentration, on donnait par jour 150 gr. de pain et un demi-litre de soupe de rutabaga ou de pelures de pommes de terre. 

Beaucoup de camarades étaient si faibles qu'ils pouvaient à peine sa traîner. Mais pourtant il fallait être debout deux heures à l'appel, aller travailler aux corvées, et toute défaillance, tout retard était immédiatement sanctionné par de lourds coups de gourdin qui achevaient leur homme,

La veille de notre délivrance par la 82e Division américaine, les S.S. ont encore tenté de nous évacuer. Ce qui restait de quenilles humaines a été chargé et comprimé à raison de 130 par wagon. Les traînards, les éclopés, impittoyablement descendus à coups de matraque. Le lendemain il 'n y avait le long du train cent cadavres. Le train n'a pu partir à cause du bombardement de la gare voisine.

Dans quel état étaient les survivants ? Le service sanitairs américain en a évacué près de mille malades, beaucoup d'entre-eux ne survivront pas à la phtisie, au rachitisme, à l'oedème. Les plus valides sont squelettiques. Tous nous étions couverts de vermine, sales, loqueteux, déchue de cette terrible déchéance qu'est la misère, la fain, la peur...

Wöbolin été la dernière étape dans l'horreur nazie. Mais l'étape précédente que nous avions franchie n'était pas  moins terrifiante. Nous venions de petits "commandos" de travail, groupes de prissonniers détachés à quelque usine ou entreprise. Nous y avions fait la connaissance du pire esclavage.

Pour ma part m j'appartenais au commando de Schandelah : construction, puis exploitation d'une usine d'extraction d'huile du schiste. Nous y étions 700. En neuf mois, il y sont mort les troisquarts de l'effectif, de faim, froid, brutalité. On travaillait 12 heures par jour, à des travaux de terrassement ou de construction. Les contremaîtres tapaient dur, à la matraque, si le rythme de travail ralentissait. L'hiver, qui fut très froid, nous étions en costume de toire, sans sous-vêtements. Pour nous protéger nous avions mis sur nous du papier, morceaux de sacs à ciment. On nous l'a fait enlever, et celui qui était découvert avec un morceau de papier sur soi était puni comme voleur .. . . !

La nourriture était, pour le travrail exigé, nettement insuffisante : 450 gr. de pain et un litre de soupe de betteraves ou rutabagas, soupe pour porcs ! L'hygiène était lamentable : durant quatre mois nous n'avons pu nous laver, faute d'eau. Après, quand il y eut de l'eau, nous ne recevions ni savon ni essuie.

Mais cette misère matérielle, les coups, le travail de forçat, la vermine, le froid n'étaient rien à côté de notre misère morale. Ce que les S.S. ont imaginé de plus raffiné  pour torturer leurs victimes, est de faire diriger les camps, et de les encadrer par d'autres prisonniers choisie parmi les criminels de droit commun allemands : assassins, cambrioleurs, pédérastes, voleurs. Ces hommes tarés, méthodiquement choisis pour leur brutalité et leur dureté jouissaient d'une autorité sans limite sur les autres prisonniers. Ils avaient sur nous droit de vie ou de mort. Ils pouvaient assouvir leurs plus vifs instincts de brute sur leurs victimes. L'administration S.S., leur assurait 1'impunité et leur donnait récompense par un régime de faveur : excellente nourriture, logement confortable, exemption de travail . Ces hommes étaient dénommés "capo" et vorarbeiter. Ce sant eux qui manieient la matraque. . Dès l'appel du matin les coups pleuvaient, au retour, le soir au bloc, ils recommençaient. En pleine nuit ces brutes, ivres parfois, nous faisaient lever pour nous chasser dehors, à moitié nus et nous faire stationner dans l'atmosphère glaciale. Barbarie gratuite, folie vicieuse, brutalité, atmosphère démoniaque. Et quand il y avait, de notre part, quelque velléité de résistance, quelque tentative de rébellion, on était ou bien tué à coupe de S.S., en plain chantier, à moins que les S.S. ne lâchent sur vous leurs chiens qui vous arrachaient de grands lambeaux de chair.

A Schandelah, à l' appel du matin, tous les jours s'écroulaient deux ou trois camarades. Les capos se précipitaient sur eux, à coups de bottes les forçaient à se relever, mais' s'ils n'y réussissaient pas les mourants restaient là dans la boue durant quatre - cinq heures A 1'infirmerie, le "medecin-chef" était un ouvrier maçon, qui avait assassiné plusieurs enfants. Avant que ses malades ne fussent morts, il leur arrachait, pour les voler, leurs dents en or s'ils en avaient. Quant aux morts, on les exposait devant les urinoirs, nus, et disposés de cette manière que les vivants devaient uriner sur eux. La moindre manifestation de respect pour les morts était punie de vingt-cinq coups de bâton. Les S.S. avaient ainsi scientifiquement organisé notre destruction lente et notre avilisement moral. Les civils allemands connaissaient et appréciaient ce régime. A l'usine où nous travaillions, il y avait des administrateurs, des directeurs, des docteurs, des ingénieurs allemands, plus d'une centaine. Ils assistaient aux bastonnades, ils exigeaient qu'elles fussent données pour activer le travail: ils voyaient notre misère et s'en moquaient: ils trouvaient naturelle la brutalité des capos, et l'encourageant, ces hommes "cultivés" n'avaient pour nous que mépris, insulte et haine: ils étaient solidaires des atrocités commises dans le camp.

Cas intellectuels allemands appartenaient, pour la plupart, à l'Université de Braunschweig. Ils travaillaient pour la Cie KALK- und CEMENTWERKE - SCHANDALAH, Gmbh, et à  l'Institut pour Recherches Pétrolifères de Braunschweig.  Le président de la Compagnie était le Dr.Prof. WITTICK, le président de l'Institut était le Dr. HEFTER. Tous deux se distinguaient par leurs exigences quant au travail et leur dureté pour les prisonniers. D'autres ingénieurs, directeurs et docteurs étaient M. KAUL, M. BROCKHAUSEN, le Dr. SCHULTZE. Presque journellement ces messieurs promenaient à travers les chantiers des délégations de civils allemands, auxquels ils exposaient les progrès des travaux, sans doute dans un but de propagande. Devant ces civils, ils exprimaient leur mépris pour la mauvaise qualité du travail que livraient les détenus et leurs regrets que le régime qui leur était infligé fut trop doux. Détail pittoresque. En général, messieurs les ingénieurs ou directeurs me désignaient nommément à ces visiteurs, leur disant: le prisonnier de marque, ce qui entraînait de grands éclats de rire et une visible satisfaction.

En dehors des intellectuels, une centaine d'ouvriers et contremaîtres allemands travaillaient à Schandalalh. Au cours du mois de mars et au début d'avril, quand l'écroulement de l'Allemagne était certain, ils ont commencé à découvrir pour les détenus des sentiments humanitaires, mais, antérieurement, ils avaient à notre égard une rudesse et une dureté toute semblables à celles des S.S.

Le dimanche après-midi ces civils no travaillaient pas. Plusieurs dizaines d'entre eux venaient avec leur famille et leurs enfanta promener dans le chantier et contempler le travail des "bandits". Souvent aussi, le dimanche soir, les femmes et enfants venaient se grouper autour des grillages du camp pour nous regarder, assister aux bastonnades et contempler l'avillissement et la misère des nombreux cadavres ambulants qui se promenaient dans le camp.

Je   certifie   que   tous  ces   renseignements   sont   exacts  et   sanse  aucune  exagération.

L. Camu

Chef d'état major de la zone III 
de l'armée secrète Belge
Commissaire royal.

   

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