Un calvaire ... 1941-1944,
René Lefebvre-Watine
, Lefebvre, M., 1945

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René Lefebvre

 
Contenue
Introduction
Guerre 1914-1918
Vingt ans plus tard
Quelques faits
Son arrestation
Dès son arrestation ....
Bruxelles
De Bruxelles à Sonnenburg    Lettre de Bommel
Le Bagne                           Lettre de Piérard
Sa Mort
Testament
Extrait du "NORD LIBRE", le 15 juin 1945

Notes

A la demande d'un grand nombre de ses parents et amis et aussi afin d'en fixer la mémoire pour ses descendants, j'ai tenu à faire imprimer ces quelques feuillets sur l'activité de mon père et surtout les souffrances qu'il à endurées pendant les années 1940 à 1944.

Me sentant inapte à composer un tel rapport, n'ayant pas vécu près de lui au cours de ces années, je me bornerai à transcrire integralement les récits de deux de ses compagnons d'infortune, monsieur Bommel et monsieur Piérard, en les remerciant des détails nombreux et émouvants qu'ils ont bien voulu nous rapporter et des marques de sympathie qu'ils ont témoignées à notre famille éprouvéé.

M.L.     

9 decembre 1945

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Né le 23 Février 1879 à Tourcoing, mon père devait toujours montrer, durant toute sa vie une foi intense: foi dans le Christ, foi dans sa Patrie foi dans une justice sociale plus grande. Cette foi était vivante, agissante, il la portait dans son regard doux mais ardent, dans sa démarche martiale, dans son attitude rigide, ferme, dans son esprit de sacrifice.
 

En plus d'une admiration d'ailleurs toute justifiée pour sa mère Marie Théry, morte en 1917, et dont la vie fut consacrée aux œuvres de charité, aux pauvres, aux malades, il avait une dévotion toute spéciale en sa Mère du ciel - la Sainte Vierge.
 

Tertiaire de Saint-François, il commençait toujours sa journée par l'assistance à la messe de 6 heures 1/4, en sa paroisse Notre-Dame des Anges et la terminait par le chapelet.

Dès 1897, il entre dans l'Association des Brancardiers de Notre-Dame de Lourdes, pour devenir hospitalier.
 

Le 16 Avril 1902, il associa sa vie à celle de Gabrielle Watine. Tous  deux vécurent une existence  d'une intense spiritualité et d'une sainteté édifiante. De leur union naquirent 8 enfants dont les 5 aînés se consacrèrent à Dieu : deux furent missionnaires des Pères du St Esprit; une fut religieuse de Marie Réparatrice; une autre missionnaire des Sœurs du St Esprit et une dernière entra au Carmel de Tourcoing. Monarchiste  convaincu, durant  toute  sa vie il se dévoua à la cause de la Maison de France, voyant dans un gouvernement royal le seul moyen de rendre à son pays sa grandeur passée et un renouveau chrétien.

En 1920, mon père entra au Conseil des Prud'Hommes de Tourcoing, où jusqu'en 1941 il montra un sens très poussé des rapports sociaux. Il essaya, toujours avec beaucoup de justice, d'aplanir les nombreux cas qui lui étaient soumis.
 

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Guerre 1914-1918

Non mobilisable en 1914, étant père de 6 enfants à ce moment, il offrit ses services à la Société de Secours aux Blessés Militaires de Tourcoing et se rendit en auto à travers les postes allemands, dans les villages, à la recherche des blessés français.
 

A l'arrivée des Allemands, il soigna des blessés français prisonniers et favorisa l'évasion de prisonniers anglais.
 

Apprenant que l'on mobilisait en France ceux qui pouvaient l'être il se décida à quitter Tourcoing en Janvier 1915.
 

Sous le pseudonyme d'Alfred Dendalle, il partit vers Bruxelles et passa en Hollande avec des documents qui lui avaient été remis par une organisation belge de renseignements.
 

Lors de son arrivée en France, il apprit que son régiment était déjà au front. On ne l'accepta nulle part; déçu, il chercha à servir son pays et y parvint par l'intervention d'un de ses anciens amis, le P. Cavrois.
 

Il partit en Angleterre et se mit à la disposition de intelligence Service. Son service fut le suivant: liaison entre les organisations belges et l'Angleterre. Il séjourna donc à  Flessingue, Tilburg, Maestricht, Bréden. Sous le nom de Lefort, il recevait des lettres, messagers belges et des renseignements. Il entreprit fréquemment des traversées de Flessingue à Tilburg ou Folkestone pas de toute sécurité.
 

Puis on le retrouva en France comme convoyeur des Services Radiologiques delà S.S.B.M. au front. Il fut envoyé dans la région de Verdun, son service eut à supporter plusieurs bombardements. Il fut ensuite administrateur de l'Hôpital 60 à Paris.
 

A la fin de la guerre il s'occupa des rapatriés à Evian et se trouva en rapport avec les autorités suisses pour l'aide à donner aux malades, infirmes, vieillards, enfants qui rentraient en France.
 

Volontaire, il fit tout pour se rendre utile à son pays, et souvent au péril de sa vie.
 

Le 27 Août 1920, il reçut, des mains du Ministre de l'Intérieur belge : Monsieur Henri Jaspar, la Croix civique pour sa noble conduite.

 

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Vingt ans plus tard

 

Après ce que je viens de signaler, il ne faut donc pas s'étonner que vingt ans plus tard, mon père renouât aussitôt ses attaches avec les services de Renseignements belges de 14-18, lors de la nouvelle déclaration de guerre, le 3 Septembre 1939.

 

Dès cette époque, la Belgique étant pays neutre, des plans de défense belges furent transmis aux Alliés; mon père se sentait le besoin de servir à nouveau son pays comme en 1914-1918.


Puis vint l'invasion rapide de Mai 1940. Sitôt l'occu­pation ennemie, il alla chercher des directives à Bruxelles où se trouvait le siège du Service de Rensei­gnements auquel il appartenait.
 

Maillon d'une chaîne, mon père avait deux activités : tout d'abord Service de renseignements: il transmettait des messages, qu'il recevait, à Mr Lezaire, Président des Anciens Combattants Belges de Tourcoing, mort comme lui à Sonnenburg, qui les transmettait à Loos où de là ceux-ci étaient radiodiffusés sur Londres.
 

De plus, il hébergeait chez lui (1) des soldats ou civils alliés ou belges venant de Mouscron qu'il avait mission de diriger vers la Somme. De là, ceux-ci étaient envoyés en Angleterre par avion ou partaient pour la France Libre.
 

Il serait difficile de chiffrer le nombre des personnes qui grâce à lui ont retrouvé la liberté. Il s'agissait parfois de groupes de dix, comme de cas isolés. Ce trafic eut surtout lieu vers les mois de Septembre-Octobre 1940.

 

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Quelques faits

 

Pendant trois mois un major Ecossais, apparenté à la Reine d'Angleterre, logea chez lui. Blessé il ne pouvait continuer sa route, ne sachant aucunement le français. Il se mit à l'apprendre et se hasarda plusieurs fois hors de la maison, pour se rendre chez le coiffeur et même au cinéma. Lors de son départ, il promit de transmettre un message et à son arrivée à Londres, le surlendemain, le message signalé fut transmis.


Lors du procès de mon père à Berlin, on fit paraître devant les accusés deux jeunes soldats anglais, les Allemands sachant que ceux-ci avaient logé à Tourcoing. Ils les obligèrent à passer devant les accusés alignés, en les regardant bien dans les yeux. Mon père les reconnut de suite, mais rien ne fut découvert. Interrogés, les soldats certifièrent qu'ils s'étaient arrêtés dans une petite maison de la banlieue tourquennoise. L'émotion fut grande.
 

Peu de temps avant son arrestation, un sergent allemand vint loger dans sa maison, cela n'empêcha pas mon père de continuer son service et même d'y héberger jusqu'à six Anglais dans son salon. Il pressentait que cela tournerait mal, il était surveillé, mais ne voulant pas abandonner son poste, il acceptait le sacrifice de sa vie si Dieu le lui demandait, et plein de confiance, il continua à servir.
 

Son arrestation
 

Le 21 Avril 1941, vers 14 heures 45, on sonna à la maison paternelle, la cuisinière alla ouvrir, deux civils demandèrent à parler à Monsieur René Lefebvre pour affaires; il leur fut répondu que les affaires se traitaient à l'usine (2), mais la question était urgente, ils revenaient d'ailleurs de l'usine et savaient pertinemment que mon père n'y était pas. La cuisinière leur demanda d'attendre en spécifiant qu'elle allait voir. Alors qu'elle ouvrait la porte de la salle à manger où se trouvait mon père, les deux civils pénétrèrent dans celle-ci accompagnés d'un officier allemand. Plus rien ne pouvait être tenté.

 

Comme presque tous les jours après le déjeuner, il se reposait dans un fauteuil en écoutant la T.S.F., et souvent s'endormait quelques instants; c était le cas ce jour là; réveillé en sursaut par l'introduction de ces civils dans la salle à manger, il ne put faire le moindre geste, la T.S.F. émettait les nouvelles de la B.B.C. de Londres.
 

Sous la menace du revolver, une inspection minutieuse de la maison fut faite, un plan de Boulogne a dû être découvert; une auto ayant été avancée il fut conduit au siège de la Gestapo, rue de Lille. Pendant ce temps, la cuisinière affolée avertit le personnel de l'usine, les papiers compromettants furent tout de suite brûlés. Quelques instants plus tard, toujours encadré de ces Messieurs, mon père arrivait à l'usine et, là également, une visite en règle eut lieu. C'est devant le personnel inquiet et les gens du quartier atterrés, qu'eut lieu le départ en auto pour Loos.
 

Là commence le calvaire qui ne devait se terminer que trois ans plus tard par une mort pénible, mais glorieuse, émouvante.
 

Le séjour à Loos ne dura que deux jours, et il fut dirigé immédiatement sur Bruxelles, prison Saint Gilles, les allemand s'étant rendu compte que son service avait là sa source.

 

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Dès son arrestation ....

Bruxelles
 

(3) Mon père occupa d'abord la cellule 47 avec un Bruxellois qui fut relâché après 3 mois, puis la cellule 42, où il se trouva avec un médecin belge, cultivé et intéressant, et un Flamand qui ne comprenait pas le français. Je crois, d'après ce que disait mon père, que leurs relations à trois furent très cordiales et qu'ils se soutenaient l'un l'autre, avec beaucoup de courage.

 

Mais l'inaction était pénible, il leur était impossible de prendre un peu d'exercice dans la  cellule. Les paillasses couvraient toute la superficie (la cellule était prévue pour un seul prisonnier). Une promenade d'une demi-heure par jour leur était accordée, mais elle se faisait en rang et en silence. Cependant le régime de la prison n'était pas trop rigoureux, nourriture en quantité suffisante; les colis leur étaient remis en général intacts et l'hiver toutes les cellules étaient chauffées.


Mon père acceptait avec une résignation splendide sa situation, il avait continuellement son chapelet à la main et était très heureux d'avoir pu garder son missel et son office de la Sainte-Vierge.


Depuis le début de son arrestation il s'était familiarisé avec l'idée de sa mort et il parlait à sa fille, pendant les visites, de la grâce que Dieu lui faisait de mourir pour son Pays. "Je n'ai fait que mon devoir de Français et ne regrette rien, je serais prêt à tout recommencer si c'était à refaire". Il était, à chaque visite, toujours aussi calme et serein, demandant des nouvelles de chacun. Il ne se plaignait jamais et il a affirme a plusieurs reprises qu'il n'avait jamais eu à subir de coups ni mauvais traitements, qu'on l'en avait seulement menacé. Il avait hâte aussi que le jugement soit rendu, mais ne se faisait aucune illusion sur son issue.
 

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(4) " J'attends l'heure de la Providence, Ce qu'il y a de certain c'est que nous gagnons quelques mérites et que nous avons une petite notion du Purgatoire".

" II y a ici beaucoup de braves gens, nous en sommes persuadés malgré la rigueur du silence. Je crois qu'on y prie aussi bien, sinon autant que dans un cloître; mais les offices sont rares : tout au plus une messe par quinzaine, et, avec insistance, possibilité de communion".
"Si c'est un temps très pénible, c'est une consolation très grande de pouvoir se dire que rien ne se perd quand on l'envisage comme nous l'envisageons".
"Malgré les heures bien longues parfois, malgré les souffrances que tu imagines, ce n'est pas l'enfer de Dante où l'on abandonne toute espérance. Je plains ceux qui sont comme moi mais n'ont pas de religion".
" Prends courage, patience, la situation s'éclaircit et nous aurons de beaux jours pour notre cher pays revenu à ses brillantes traditions et que le désordre avait mené à la ruine ".

"Grâce à Dieu, j'ai senti son secours, il y a eu des moments terribles mais j'ai pu constater que j'ai été aide dans les instants où je me sentais au plus bas".


"Comme tout homme est mortel je viens faire par écrit mes adieux à mes chers enfants, à mes amis, à ma famille.

 

Vous savez que je meurs en catholique français monarchiste, car pour moi c'est dans l'établissement de monarchies chrétiennes que l'Europe, le monde peuvent retrouver la stabilité, la véritable paix. Si je trouve ici la mort c'est que le Bon Dieu en aura décidé de cette façon et sans une retraite spéciale préparée pour le Ciel, le  purgatoire aura été  commencé ici-bas.

De tout je remercie Dieu. La souffrance purifie. Ce me serait un grand sacrifice de ne pas retrouver mes enfants avant de mourir.

 

De tout cœur je bénis mes enfants que je confie à Notre-Dame, la Sainte Vierge fut si bonne pour moi, je veux donc rester son enfant aimé et particulièrement béni. Elle aimera bénir ma famille qui doit lui rester consacrée, lui être toute dévouée et rechercher par Elle l'extension du règne de son Divin Fils..."  (Bruxelles, le 9 Septembre 1941).

 

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La mise au secret dura un mois avec enquêtes et interrogatoires particulièrement pénibles toutes les 3 heures. Même la nuit, on le conduisait en voiture cellulaire, rue Traversière, où se trouvaient les Bureaux de la Gestapo.
 

Au bout de quelques semaines sa fatigue était telle qu'il n'ouvrait plus la bouche, de peur que, dans sa lassitude, il ne se contredît ou laissât échapper quelques renseignements.

Ce n'est qu'au début de Juin que les visites sont mises régime des détenus non jugés, c'est-à-dire une visite de 10 minutes tous les quinze jours avec un colis de 6 kgs, vivres et vêtements. Sa fille pouvait ainsi le voir après bien des démarches. Au début il fallait civique fois demander l'autorisation à la rue Traversière, moyennant quoi on pouvait prendre un numéro d'ordre à la porte de la prison. L'affluence était telle qu'on devait se trouver à Saint-Gilles à 13 heures pour passer vers 5 heures du soir. On faisait entrer les gens par fournées jusqu'au bureau d'entrée et là les démarches de justifications recommençaient. Un officier s'assurait que le prisonnier n'avait pas reçu de visites depuis le temps prévu, pesait minutieusement les colis, 100 grammes de plus que le poids maximum amenait le visiteur à diminuer le colis, on vous donnait ensuite une plaquette en fer qui permettait de monter à la salle de visite. C'était une longue salle en enfilade donnant sur une cour d'un côté et de l'autre sur le parloir des prisonniers. Des petites cabines, ressemblant à des cabines téléphoniques y étaient rangées le long du mur au nombre de 18. Ces cabines formées de cloisons avaient une porte vitrée qui permettait de voir le prisonnier. Ceux-ci passaient en rang derrière le guichetier, s'arrêtaient devant le visiteur reconnu. Les Allemands faisaient les cent pas, surveillaient les uns et les autres. On était obligé de parler très fort pour se faire entendre, la vitre empêchant les voix de passer, et comme tout le  monde devait en faire autant, il y avait une cacophonie telle qu il ehut préférable de se parler par gestes. Certains se risquaient de faire lire des petits papiers préparés a l'avance et qu'on collait contre la vitre. II fallait alors se méfier des gardiens car les représailles pouvaient être graves.
 

Au bout de 10 minutes un coup de sonnette rangeait les prisonniers le long du mur et ils repartaient en rang et au pas à leur cellule.
 

A Saint-Gilles, le nombre des prisonniers s'accroissait sans cesse. La prison pouvait en contenir 700. Mais il y en eut rapidement 1200 et 1500.
 

Le séjour à Bruxelles dura 9 mois. Le 22 Janvier à 10 heures du matin on l'emmena vers une destination inconnue en Allemagne, sans même qu'il ait pu prévenir ses enfants. On apprit plus tard que c'est à Hambourg qu'il fit sa première halte.
 

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De Bruxelles à Sonnenburg
 

(5) Je trouve votre lettre du 2 écoulé à mon retour d'Hazebrouck où j'ai été me reposer dans ma famille, et je m'empresse d'y répondre du mieux qu'il m'est possible au sujet de votre regretté Père.
 

J'ai d'abord été mis en correspondance par l'intermédiaire de Mademoiselle Leplat avec Monsieur Lefebvre connu par moi sous le nom de Lefort et Monsieur Lezaire (Léopold) pour faire convoyer en France libre quelques Anglais et un jeune médecin belge que j'avais en compte à Lille.
 

A mon avis, quand Mademoiselle Leplat s'est fait pincer à Bruxelles lors d'une mission que je lui avais confiée pour faire la liaison entre les groupes francs belges et français, nos noms et adresses devaient fleurer dans son sac à main, c'est ce qui a dû provoquer l'arrestation de Monsieur Lezaire puis de Monsieur Lefebvre, la perquisition opérée chez ces derniers a permis la découverte d'un plan de Boulogne, de tracts et d'un carnet indiquant les sommes versées par M. Lefebvre à M. Lezaire pour convoyer les hommes en France Libre.
 

J'étais déjà arrêté pour une première affaire depuis le 21-3-1941 et condamné à 3 ans de prison pour passage de jeunes gens à la ligne de démarcation en vue de s'engager dans l'armée de De Gaulle. Ce n'est que le 1er Mai 1941 que j'ai été impliqué dans l'affaire de Bruxelles ainsi que ma dactylo, Madame Forest, pour espionnage et recrutement de jeunes gens pour l'armée gaulliste. L'interrogatoire a duré jusqu'au 17 Mai.- Durant cette période je n'ai pas été confronté avec MM. Lefebvre, Lezaire et le commandant belge Vrieslander de Bruxelles; l'officier de la Gestapo s'en est tenu à la déclaration que j'ai faite à cette époque de ne connaître ni l'un ni l'autre des 3 inculpés - Le 18 Mai 1941 je réintégrais la prison centrale de Loos pour purger mes 3 ans de prison, quand le 5 Novembre 1941 on me remit au secret en cellule pour cette affaire  de Bruxelles, je fus dirigé à la Prison de St-Gilles en Janvier 1942, puis à la prison de Hambourg où je vis Messieurs Lefebvre et Lezaire à la promenade journalière. Etant dans la cellule en face de celle de votre père, nous pouvions nous faire des signes d'intelligence mais il était impossible de nous parler.
 

A Hambourg nous étions au secret le plus complet. La nourriture sans être trop copieuse, était cependant suffisante, elle se composait de soupe aux choux, pâtes ou simplement de farine; deux fois par semaine nous avions quelques pommes de viande appelée "Goulache", parfois nous recevions 50grs. de margarine une petite portion de fromage et une cuiller de confiture, voilà pour la nourriture Bien que rudoyés par nos gardiens nous n'étions jamais battus à proprement parler. Nous recevions la visite de l'aumônier civil toutes les semaines mais nous ne pouvions assister à la Messe, la Communion était donnée en cellule et d'une façon décente, après une préparation préalable: 2 bougies allumées de chaque côté d'un grand Christ en cuivre, le tout disposé sur une serviette immaculée sur la table de notre cellule.
 

L'aumônier était très correct et parlait un peu le français. Monsieur Lefebvre a bénéficié de la faveur très particulière de communier tous les jours, le prêtre lui ayant remis des Hosties à cet effet. J'aurais peine à croire cela si ce n'était Monsieur Lefebvre lui-même qui m'a rapporté le fait lors de notre transfert à Berlin le 20 Mai 1942. A part notre isolement complet, nous n'étions pas trop malheureux dans cette prison.
 

Nous avons quitté Hambourg, menottes aux poignets, en auto cellulaire; accouplé avec votre père nous avons pu nous parler librement, c'est ainsi qu'il m'a entretenu un peu de sa famille, en particulier de sa sainte femme, de tous ses enfants, qu'il aimait tant.
 

Le 20 Mai 1942 à Berlin, nous avons été mis en cellule dans l'aile militaire de la prison du Nouveau Moabit à côté de la gare principale de Berlin, où la presque totalité des prisonniers étaient condamnes a mort et pourvoyaient le peloton d'exécution 2 ou 3 par semaine. Nous étions 2 par cellule, c'est ainsi que nous changions parfois decompagnons bien souvent etrangers (Hollandais, Polonais, etc..) Il était rare d'être accouplé avec un Français. Notre procès a duré du 21 au 28 Mai 1942. M. Lefebvre, Lezaire, Melle Leplat et moi-même nous avons été condamnés 2 fois à mort: 1°) pour intelligence avec l'ennemi, 2°) pour recrutement de jeunes gens pouvant porter les armes contre le Grand Reich. Le Commandant belge Vrieslander, décédé également à Sonnenburg a été condamné à 8 ans de T.F. ainsi que Mme Yvonne Perdieu condamnée à 5 ans de la même peine. Considéré comme chef de groupe ayant donné des ordres pour l'exécution de tout ce qu'on nous imputait, ma défense a été très serrée. C'est ainsi que j'ai demandé sans arrêt l'audition d'un témoin à charge Vancraynest (Belge qui avait fait arrêter Melle Leplat à Bruxelles pour de l'argent) ce dernier était resté introuvable après plusieurs enquêtes. J'ai la conviction que c'est ce qui nous sauva du peloton d'exécution après 13 mois d'attente dans cette même prison. Au cours du procès, M. Lefebvre a toujours eu une attitude très digne et très courageuse, il a subi le choc sans broncher, il était résigné à son sort et s'était remis entièrement entre les mains de la Sainte Vierge (car dans la cellule d'attente au Palais où nous étions enchaînés à 4, nous récitions le chapelet tout haut sous sa gouverne) il nous incitait à nous confier comme lui à la Reine du Ciel en qui il avait une très grande confiance.
 

Notre vie en cellule était triste et monotone, nous attendant chaque matin à voir apparaître nos bourreaux. Les exécutions se faisant par groupe respectif de 10, 20 ou même 40 comme le dernier groupe hollandais dont 1 général et 1 Colonel exécutés en Juin 43 après 8 mois d'attente. Ils se sont vus mourir l'un après l'autre de 8 heures du matin à 4 heures du soir, fait rapporté par l'aumônier militaire de la prison au chambellan de la Reine de Hollande, qui était de la même affaire et mon voisin de cellule. Ce jeune homme dont la peine de mort avait été commuée en T.F. est décédé à Sonnenburg et connaissait très bien votre malheureux père. A Berlin nous étions ravitaillés par l'armée et la nourriture était copieuse et bonne, le matin réveil à 6 heures, café sucré; 2 fois par semaine propreté du corps et de la cellule, à 9 heures inspection, 19 heures promenade des condamnés à mort pendant une demi-heure, nous étions environ 200 par promenade, nous marchions à 1 mètre d'intervalle l'un derrière l'autre gardés par des sentinelles de l'armée régulière, très service, le revolver prêt à faire feu ; aussi il était extrêmement dangereux de parler ou de faire signe, la moindre incartade nous menait au cachot avec un régime spécial: 300 grs. de pain par jour et 1 litre de soupe légère tous les 4 jours, le malheureux puni ne sortait de là que sur une civière - A ma connaissance, Monsieur Lefebvre n'a jamais subi ce sort - A midi nous recevions soit une soupe assez épaisse ou de la choucroute avec un morceau de saucisse, ou des pâtes ; 2 fois par semaine des pommes de terre avec goulache. -A 4 h. 1/2, nous recevions 300 grs.de pain de l'armée, margarine et confiture et la porte se refermait jusqu'au lendemain à 6 heures. - Nous recevions par semaine 300 grs. de miel artificiel, 250 grs. de fromage, une boîte de maquereaux ou de sardines pour 2 hommes, parfois nous avions des fruits ou des tomates fraîches, en un mot la nourriture était bonne et saine.

En principe, l'aumônier militaire nous faisait  visite tous les 15 jours ou 3 semaines, et nous donnait la communion. Il venait plus souvent sur notre demande, mais pas plus à Berlin qu à Hambourg nous n'avons pu assistera la Messe ; les ordres étaient formels et nous ne pouvions quitter nos cellules sous aucun prétexte. Lors des bombardements même si la porte volait en éclats, nous devions rester sur place sous peine de mort immédiate. Nous ne pouvions pas nous côtoyer et il fallait agir avec prudence et ruse de Sioux pour s'intéresser les uns les autres, bien que se voyant à la promenade quotidienne. Dans nos cellules, sans travail, nous n'avions pas le droit de lire ni d'écrire à moins que ce soit pour écrire au Président du Tribunal, nos journées se passaient donc en réflexions ou en prières, car on nous a permis de garder notre chapelet.
 

Malgré la monotonie de cette vie de reclus, j'ai pu me rendre compte que Monsieur Lefebvre avait gardé un excellent moral, quand au bout de 13 mois (16 Juin 1943) mon groupe, dont Monsieur Lefebvre, a été remis aux mains de l'administration pénitentiaire civile. Par miracle nous étions sauvés du peloton d'exécution, mais, hélas, ce n'était que pour faire mourir lentement et plus cruellement la plupart d'entre nous au bagne de Sonnenburg.
 

Le Bagne 7960
 

Nous sommes restés ensemble environ 10 jours en subsistance à la prison cellulaire du Vieux Moabit à Berlin, nous y avons été bien traités. Après quoi un convoi d'une centaine de condamnés de toutes nationalités se forma et chaque homme retenu avec les menottes par un Schupo défila devant une foule hostile dans les rues de Berlin jusqu'à la Gare où nous fûmes embarqués dans des wagons cellulaires blindés. Nous étions 4 et 5 par cellule aménagée pour un homme seulement, nous étions collés  l'un contre l'autre et j'eus le bonheur d'être avec M. Lefebvre. Le voyage fut très pénible, nous avions reçu 2 fines tartines à 8 heures du matin et nous avons été cahotés sans air jusqu'à 10 heures du soir, heure d'arrivée à Sonnenburg où nous avons touché 200 grs. de pain et une gamelle de thé. Nous avons été parqués en quarantaine pendant une quinzaine de jours dans un grenier grillagé, nous étions couchés sur la paille avec une couverture, nous touchions 300 grs. de pain par jour, une soupe aux choux à midi et une soupe légère à la farine le soir - Nous ne pouvions pas nous laver et nous étions remplis de vermine - Au bout de ce laps de temps, on nous fit déshabiller complètement et nous fûmes tondus des pieds à la tête, passés ensuite à la douche et habillés des fameux vêtements rayés. Nous fûmes ensuite enfermés 1 ou 2 par cellule selon les cas ; la vie de bagnard commençait.
 

La région où nous étions était froide, marécageuse et humide. L'été le soleil n'était guère clément pour nous, nos cellules étaient disposées au Nord, nous ne pouvions pas profiter de ses rayons, la nourriture était quelconque et nettement insuffisante. Nous avions environ 350 grammes de pain pâteux et infect, soupe aux choux ou aux rutabagas sans graisse le midi, toutefois assez épaisse le soir, soupe légère faite avec des graines analogues à celles qu'on donne aux oiseaux, ou soupe au petit lait vaguement sucrée. Deux fois par semaine, nous avions un repas froid le soir, se composant d'un petit carré de margarine, d'un petit morceau de fromage fort ou un morceau de saucisson. Le réveil était à 6 heures; faisant des chaussures de paille, on ne quittait sa cellule que pour aller en promenade, mais Monsieur Lefebvre travaillait à la cave avec une dizaine de camarades dont le commandant belge Trats  d'Anvers, Marcel PROT de Dunkerque, Monsieur Guillon de Bruxelles, détenteur de son alliance, le Comte d'Alcantara, et l'hôtelier d'Anvers dont je ne me souviens  plus du nom et que je vous ai déjà signalé. La cellule où il travaillait à trier des fétus de paille pour la confection des chaussures était très humide et manquait d'air. Il est possible que la nourriture défectueuse et le manque de salubrité aient provoqué une furonculose dont il n'a jamais pu se débarrasser, les soins étant nuls ou presque, la pommade étant appliquée au compte-gouttes sur les plaies. Les bandes en papier étaient très limitées; l'infirmier était une brute épaisse qu'il ne faisait pas bon d'aller voir car il recevait les malades à coups de poings ; son aide, un jeune allemand d'une vingtaine d'années condamné aux travaux forcés pour une affaire de meurtre, était digne de son chef et a dû faire mourir aussi quelques-uns de nos pauvres camarades. M. Lefebvre recevait souvent des soins pour ses furoncles aux jambes et aux bras, mais je ne sais comment il était traité par nos bourreaux, ma vie de cellule m'empêchait de savoir exactement ce qui se passait dans la prison; mais à mon avis, je crois qu'il n'était pas plus privilégié que nous et qu'il a dû subir des sévices et vexations comme nous. Mon ami Le Rolland de Reims qui travaillait dans un atelier et était en contact avec d'autres camarades pourrait peut-être vous donner plus dedétails là dessus. Nous changions de chemise et de caleçon tous les 15 jours environ, mais ces derniers d'une propreté douteuse étaient bien souvent remplis de vermine. Peut-être M. Lefebvre recevait-il la visite d'un aumônier catholique mais je ne me souviens pas d'en avoir vu à Sonnenburg à moins que ce ne soit à l'infirmerie, là je ne suis jamais allé.     
  

Je me rappelle quand même qu'à Noël il nous avons assisté à la Messe et nous avons pu communier mais c'est la seule fois à ma connaissance.

Un jour que j'étais en promenade, sans pouvoir préciser le mois, j'ai vu M. Lefebvre supporté par un camarade entrer à l'infirmerie, il m'a fait un petit signe de la main et m'a regardé d'une façon douloureuse, j'appris 3 jours après son entrée qu'il était décédé d'une congestion. Je ne puis en conscience vous donner plus de détails. Je sais que le Commandant Trats. le Comte d'Alcantara et Guillon, tous trois morts en Allemagne, ont assisté à ses derniers moments. C'est tout.
 

Excusez le long exposé que j'ai essayé de faire le plus clair possible espérant qu'il vous satisfera.

 

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(6) J'ai fort bien connu M. René Lefebvre à la Zuchthaus de Sonnenburg où, très vite, nous nous sommes liés d'amitié. J'ai été transféré dans cette maison de force le 20 Mai 1943. Un mois après mon arrivée, je me trouvais a l'aile Est, deuxième abteilung; où était M. René Lefebvre et quelques jours après j'entrais en rapports avec lui. Nous pouvions de temps en temps échanger de rares paroles, à la promenade, lorsque les gardiens ne nous voyaient pas et grâce à la complicité d'un Kalfakter belge, nous échangions des billets dans lesquels nous nous communiquions nos impressions. M. R. Lefebvre partageait sa cellule avec 2 français; j'étais seul, au secret.
 

L'un de ses compagnons lui cherchait souvent querelle. Comme la cellule était sale et en désordre, le gardien au lieu de punir le responsable (c'était précisément le mauvais compagnon) sévit contre M. Lefebvre parce qu'il était le plus âgé et le fît descendre dans la cellule N° 10 (à la cave), c'était en Août 1943. J'occupais, depuis le 13 Juillet, le N° 9 donc la cellule voisine où j'étais enfermé par ordre de la direction, un gardien m'ayant accusé de sabotage et de propagande politique...
 

Ces cellules étaient très froides et humides, le plâtras se détachait des murs sur lesquels l'eau coulait continuellement. Le pavement, aux pierres disjointes servait de refuge à toute une faune qu'on ne parvenait pas à exterminer: cloportes, scolopendres, forticules, blattes, etc. Je n'oublie pas la vermine, poux, punaises et les araignées qui venaient du jardin ; une étroite fenêtre défendue par de gros barreaux et par laquelle filtrait un jour douteux était situé à ras du sol de ce jardin. Nous étions donc en contrebas à environ deux mètres. Comme mobilier un mauvais lit de fer dont les ressorts rouilles perçaient la paillasse dégoûtante, une maigre couverture de coton, une petite table, parfois un escabeau, une petite armoire pour la gamelle et la cuillère, nos seuls ustensiles, un vase hygiénique appelé Kübel. Le judas de la porte était fréquemment soulevé, la nuit surtout nous nous en apercevions parce que le gardien tournait l'interrupteur, en d'autre temps, on était privé et obligé "en hiver particulièrement, de manger et de nettoyer dans l'obscurité".

 

Vêtements: un pantalon, veste, bonnette tout en coton, chemise en loques, parfois un caleçon, sabots ou galoches, pas de chaussettes.             
 

A l'aide de coups frappés au mur, j'entrais en communication avec mon voisin, et en montant sur la table nous parvenions à entrer en conversation par la petite ouverture de la fenêtre.
 

Le 10 Novembre 1943, j'étais envoyé à l'atelier de la paille, à une vingtaine de mètres de ma cellule et où M. Lefebvre travaillait depuis un mois. Cet atelier formé de trois cellules réunies, mesurait 6m x 2m. Il y régnait une perpétuelle odeur de moisi, il y faisait très froid et très humide car on devait sans cesse mouiller la paille que l'on préparait pour les prisonniers qui confectionnaient des chaussures. Là se trouvaient aussi: Albert Lezaire de Tourcoing (décédé), Fleury Brassart, mineur de Billy-Montigny, Albert Marquis, mineur de Bray-les-Mons (rentré), Paul Hoornaert, avocat de  Liège (décédé), un coiffeur français Marcel .... (j'ai oublié le nom) avec qui nous eûmes de fréquentes querelles, il s'était fait le valet des Boches et poussait à la production pour avoir un complément de nourriture car il était chef d'équipe. Il fut remplacé à la suite d'un vol. Puis successivement: Albert De Saffel, fonctionnaire des postes, commandant de réserve de Gand (décédé); Chevalier Jean-Chrétien Baude, fils du Baron Baude, secrétaire particulier de S.A.R. la princesse Juliana de la Haye (décédé); Clama Giron "Bougnat" de Paris; Gérard Deprêtre, infirmier militaire, d'Anvers, abattu par un S.S. le 24-4-1945 pendant les marches forcées, près a Wittsbeck; baron Charles Coppieter's Wallant, rentré à Knocke ; Georges Guillon, Industriel à Bruxelles (non rentré).
 

Nous étions toujours une dizaine occupés à ce travail, la paille nous coupait les doigts et, à cause de l'humidité, la peau se détachait en lambeaux. Le matin on recevait un morceau de pain noir d'environ 250 à 300 grs. que l'on finit par réduire de moitié, avec 1/2 litre d'eau brunie baptisée "Café"; à midi, 1 litre de soupe, choux ou rutabagas, le soir 1/2 litre de soupe très claire.
 

Nous étions astreints à fournir une production que contrôlait l'arbeitmeister mais nous parvenions toujours à saboter l'ouvrage.
 

A peu près chaque mois (plus souvent tous les deux mois) on nous donnait un morceau de savon (mélange de poudre ponce et de carbonate de soude) qui fondait rapidement....

Pendant les dix-huit mois de mon séjour à Sonnenburg, j'ai connu six séances de douches, deux minutes chaque fois. Sous les cris et les coups de matraque, on se déshabillait rapidement dans le couloir glacé de la cave, on était poussé une dizaine à la fois dans une pièce d'une saleté repoussante (la salle de bains) la douche fonctionnait bien mal, le plus souvent de l'eau froide, et toujours sous les cris et les coups, on se rhabillait dans le couloir sans pouvoir s'essuyer. Combien de pleurésies et de pneumonies ont été contractées lors de ces séances que l'on aurait voulu éviter....
 

Depuis Juillet 1943 jusqu'à sa mort M. Lefebvre a beaucoup souffert de furonculose, la plupart du temps, on le renvoyait sans soin, de l'infirmerie où régnait le "vampire", infirmier-chef qui frappait, coups de pied, de poings, de clefs... Lorsque l'infirmier était bien luné, c'était rare, il appliquait sur les furoncles une quelconque pommade avec des pansement en papier ou des bandes qui avaient déjà servi bien de fois déjà et étaient horriblement sales. Hvgiène nazi... Très souvent, j'ai pansé mon ami'avec des moyens de fortune, je perçais les abcès et les nettoyais avec un peu d'essence que je tenais d'un Kalfakter norvégien. Dans les dernières semaines, M. Lefebvre était affligé de onze furoncles à l'épaule et au bras droit, et d'un énorme abcès au dos.
 

II était mon voisin de travail, me racontait sa vie familiale, ses voyages, me documentait sur son industrie, il ne cessait d'évoquer la mémoire de sa femme, me parlait en détail de chacun de ses enfants, de ses projets d'avenir. Il avait décidé de recevoir, chaque année, en un repas fraternel, tous les rescapés de notre cave. Très pieux il priait beaucoup; à l'aide d'une corde, il serrait sous la chemise un Missel et une imitation de J. C. qu'il put conserver par miracle. Après la soupe de midi il récitait à haute voix le De Profundis pour les camarades dont, chaque jour, nous apprenions le décès.

 

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Sa Mort
 

Un matin de fin Février 1944, il eut une sorte de congestion avec paralysie du côté droit et de la langue. Le gardien ne voulut rien entendre et répondit à nos appels répétés par des vociférations: Los, los, Arbeit, nous couchâmes le malade dans la paille, car il grelottait, et nous pûmes le transporter dans sa cellule après la fin du travail, à 6 h. 30. Le matin, au départ pour le travail à 6 h. 30 et le soir, je pus, les Mercredi Jeudi et Vendredi, grâce au kalfakter norvégien, lui dire quelques mots et lui serrer la main ; il ne mangeait plus. Le samedi matin, il eut une défaillance en voulant sortir son "kubel" qu'il laissa tomber. Le gardien le roua de coups et voulut le forcer à ramasser les morceaux du vase et à nettoyer, mais le malade tomba en syncope et c'est le kalfakter qui fit le nettoyage.. . Le dimanche matin, pendant la promenade, je le vis une dernière fois se rendant à l'infirmerie. Le kalfakter le soutenait et portait sa couverture, sa gamelle. Nous échangeâmes quelques brèves paroles lorsqu'il passa près de moi... Le lendemain, mon cher compagnon mourait....
 

II garda toujours un excellent moral et avait une foi inébranlable en notre Victoire... Hélas il ne l'aura pas connue... II nous avait remis à Marquis et à moi, ses deux livres de prières, un chapelet, des médailles. Ces objets nous furent enlevés quelques semaines plus tard au cours d'une fouille.
 

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Grâce au Baron Charles Coppiter's de Bruxelles, nous sommes rentrés en possession d'un testament écrit à Sonnenburg en Février 1944 quelques jours avant sa mort.

Extrait du " NORD LIBRE ", le 15 Juin 1945.

 

Je me permets ici de remercier le Baron Coppiter's d'avoir pu pendant plus d'un an camoufler ces précieuses lignes, par trop personnelles pour que des extraits puissent en être cités.

 

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Extrait du "NORD LIBRE", le 15 juin 1945


Apprendre la mort d'un héros est malheureusement chose courante aujourd'hui. La Barbarie Nazie n'a pas respecté plus les cheveux blancs que l'enfance.
 

C'est de Monsieur René LEFEBVRE que nous avons au­jourd'hui le triste devoir de rappeler le souvenir.
 

En 1914-1918, Monsieur LEFEBVRE fut l'un de ces courageux Français qui risquaient leur vie pour faciliter le passage de la frontière aux agents de l'armée secrète. Il fut l'un des principaux collaborateurs de Léonie Vanhoutte.
 

Rien d'étonnant à ce que, dès 1940, il fût de nouveau sur la brèche pour s'occuper de faire passer la ligne de démarcation aux soldats alliés qui échappaient aux Allemands. Mais la Gestapo veillait. Et, un triste jour d'Avril 1941, les bourreaux nazis venaient l'arrêter à son domicile pour l'amener dans leur repaire. La dure vie des bagnes hitlériens n'eut pas raison de son moral, et c'est en pensant à son pays qu'il succomba, en Mars 1944 à Sonnenburg dans sa 66eme année.
 

C'est pour commémorer la mort de ce courageux citoyen qui était également un grand philanthrope, qu'un Obit Solennel aura lieu le Lundi 18, à 10 heures, en l'Eglise Notre-Dame des Anges.

 

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" Puisse cet exemple magnifique laisser une vive empreinte dans sa famille, et celle-ci en retirer toutes les leçons qui s'imposent.
 

" Puisse t-il prouver aux autres que la France contient encore de vrais Français, et leur donner foi en leur beau pays ".

Notes

(1) 37, Rue du Docteur Dewyn
(2) Société Anonyme Tourquennoise du Centre, 10, Rue du Bus.
(3) Relation de sa fille Marie-Thérèse.
(4) Extraits de ses lettres.
(5) Lettre de BOMMEL, de Loos, rue Mirabeau, le 25 Juillet 1945.
(6) Lettre de PIÉRARD, 4. rue N.-D. Débonnaire, à Mons.