Entretien
entre Taicon Koré-Herman (K.T.) |
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Publié comme: Taicon, Kore [Herman] - [Extrait d'un interview] dans Gotovitch, José - 'Quelques données relatives à l'extermination des Tsiganes de Belgique', Cahiers d'Histoire de la seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 1976, p. 178 |
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J.G. K.T. |
... quand
les allemands arrivent ici? ...après on est retournés en Belgique. |
J.G. K.T. |
Et vous êtes rentrés en Belgique? Oui, avant on était toujours en Belgique avant la guerre de 14/18. |
J.G. K.T. |
Avant la
guerre de 14/18, déjà? Oui, mon père déjà avant 14/18. On était toujours en Belgique;on n'a jamais quitté |
J.G . K.T. |
Et vous
n'avez pas été dans le Sud parce que beaucoup de familles belges ont
été dans le Sud: les Boudin, les Toloche, les Adoche étaient ... on
été pris en France. Quand on va en France, c'est pour 8 ou 15 jours. |
J.G. K.T. |
Mais pendant
la guerre, vous n'êtes pas entrés...vous n'êtes pas descendus? Non, non, on a été évacués... |
J.G. K.T. |
Evacués
et puis vous êtes revenus? |
J.G. K.T. |
Et vous n'avez pas
eu d'ennuis ici? |
J.G. K.T. |
Et pas par les
Belges? |
J.G. K.T. |
Pas
par les Belges? |
J.G. K.T. |
Vous
avez pu travailler ici? |
J.G. K.T. |
Donc vous
n'avez pas eu d'ennuis de 40 à 43? Enfin j'avais un frère qui a été fusillé en 42...ou en 41. |
J.G. K.T. |
Fusillé? Fusillé à Breendonck, au fort de Breendonck. |
J.G. K.T. |
Comme otage
ou comme quoi? Non, non, mais parce qu'il faisait un peu la partie de Résistance . |
J.G. K.T. |
Comment
s'appelle, ce frère? Gorgan, Henri. |
J.G. K.T. |
Fusillé à Breendonck? Oui, en 42 ou 41. Cela, je ne sais pas...J'ai eu trois autres frères qui ont été arrêtés en 42 par |
J.G. K.T. |
Oui, cela je
sais. Ils ont été arrêtés à Anvers. A Anvers, oui, c'étaient mes deux frères...trois frères. |
J.G. K.T. |
Et pourquoi?
On ne sait pas. Une rafle comme cela? Ils les ont conduits au bureau et c'était fini. |
J.G. K.T. |
Est-ce que
vous pourriez m'expliquer pourquoi votre frère s'appelle Gorgan? Parce qu'à cette époque-là, on changeait beaucoup de nom parce qu'on était em... par la police. Elle nous expulsait en Allemagne, en France, avant la guerre. Mais je parle de longtemps après la guerre...en 26...27... On nous expulsait toujours de |
J.G. K.T. |
Et votre frère
a fait partie de Il a été arrêté ici à la place de Brouckère...à |
J.G. K.T. |
Il
voyageait avec vous? Oui, en caravane. |
J.G. K.T. |
Vous
ne savez pas ce qu'il faisait comme Résistance? Il s'habillait en officier allemand, allait à Forest libérer des prisonniers. Il savait parler l'allemand. Alors il partait avec |
J.G. K.T. |
Et
il a été fusillé sous le nom de Gorgan? Oui, oui. |
J.G. K.T. |
Donc
jusqu'en 43, vous n'avez pas été inquiété à part... Si, un peu, en 42. J'avais déjà toute ma famille ramassée déjà. Quatre frères... |
J.G. K.T. |
Vous
voyagiez avec quel groupe, avec quelle famille? La famille
Taicon...Modis... Et Gorgan. |
J.G. K.T. |
Et
pas Galut? Galut aussi, oui. |
J.G. K.T. |
Et
les Boudin, Toloche, Vadoche n'étaient pas vous, eux? Non, c'étaient des Français . Quand ils venaient, ils restaient 8, 15 jours et puis partaient en France. C'étaient des Français.. |
J.G. K.T. |
Tiens...
Parce qu'ils se présentent, eux, dans une lettre qu'ils écrivent quand
ils sont emprisonnés en France...ils disent: nous avons toujours été
en Belgique, nous sommes Belges, rapatriez-nous en Belgique. Ils ont venus...ils les ont conduits de Lille...ils les ont conduits à la caserne de Malines, ici. |
J.G. K.T. |
Oui,
cela je connais. Mais vous, vous êtes arrêté à Tournai. Oui. J'ai fait 15 jours de prison par |
J.G. K.T. |
On
a ramassé tout le monde, à Tournai? Cela a été une rafle pour tous les Gitans belges. Ils nous ont ramassés, nous ont mis dans la maison d'arrêt de Tournai en 43. Après on est allés à la caserne de Malines. Et en 44... |
J.G. K.T. |
En
janvier 44, vous partez à Auschwitz. A Auschwitz,
quand vous arrivez, ceci est une question fort importante pour moi:
Est-ce que vous avez un souvenir que sur la rampe, quand vous débarquez,
on emmène déjà des Tziganes pour être gazés tout de suite, ou vous
allez tous dans le camp. C'est-à-dire qu'on a débarqué des wagons et ils nous ont conduits directement au four pour nous brûler mais ils attendaient une réponse de Hitler. Et après trois jours on voyait qu'il passait des raillions d'hommes qui rentrent dans une porte et ne sortent plus jamais. On croyait qu'ils sortaient par une autre porte, et c'était le four crématoire. |
J.G. K.T. |
Mais
vous, ceux qui venaient de Malines, on n'a
pas touché? Non. |
J.G. K.T. |
Tous
sont allés? Oui. On est resté trois jours dans ce four-là, Enfin. |
J.G. K.T. |
Parce
qu'il y a une chose curieuse ... enfin.... Vous avez été immatriculés
mais il y a une série de gens qui n'ont pas de matricule d'Auschwitz. Ah! oui parce que voilà. Dans les autres camps, on ne matriculait pas. On mettait un numéro sur la veste et sur la culotte. |
J.G. K.T. |
Oui
mais tous ont été à Auschwitz, Vous
arrivez tous à Auschwitz Et bien oui, ceux qui ont été à Auschwitz ont été immatriculés |
J.G. K.T. |
Tous? Tous. |
J.G. K.T. |
Et
il n'y a pas eu de sélection
à l'arrivée? Non, non. |
J.G. K.T. |
Vous
avez tous été au camp, au bloc "E"? On vous a tous mis dans
ce bloc avec les familles? Toute la famille ensemble, oui. Alors on passait par famille pour mettre les numéros. Famille par famille: père, frères et soeurs par famille, ensemble pour mettre le numéro. |
J.G. K.T. |
Et
vous avez eu le numéro dans le camp? Oui. |
J.G. K.T. |
Dans
le camp tzigane, déjà, ce qu'on appelait "Zigeunerkamp"? Oui, c'est là qu'on a eu les numéros. |
J.G. K.T. |
Au
fond, maintenant, est-ce que vous pouvez me dire pourquoi, vous, on vous
choisit pour partir à Buchenwald? Vous ne
savez pas? Rien du tout, non. Ils nous ont mis dans des wagons à bestiaux, ils nous ont embarqués de Malines. |
J.G. K.T. |
Non, non, d'Auschwitz?
Quand vous étiez à Auschwitz, vous êtes
allé à Buchenwald. Vous quittez Auschwitz
et on vous a emmené à Buchenwald? Oui. |
J.G. K.T. |
Mais
qui est parti? Les plus forts? Les plus forts, oui. On choisissait les plus forts. On passait la visite du docteur et ceux qui étaient bien portants on les renvoyait dans les autres campe, pour travailler, comme volontaire. . .enfin le travail. C'était toujours la même discipline. Il y avait toujours le même fort et tout cela. |
J.G. K.T. |
Donc,
en fait, on vous a sauvé, comme cela? Oui. Enfin, j'ai perdu 4 frères, 3 soeurs et mon père qui ont été brûlés là-bas. |
J.G. K.T. |
Qui
sont restés, eux, à Auschwitz? Oui. |
J.G. K.T. |
Ils
étaient plus faibles que vous? Et plus âgés que moi. Quand je suis arrivé, il y avait déjà trois mois que mes frères étaient là...trois frères et quatre soeurs. Et quand je suis arrivé ils étaient encore vivants. Mais des squelettes vivants. Et après ils sont morts. Peut-être 8 ou 15 jours après, ils sont morts mes trois frères, quatre soeurs et mon père. Après je suis resté encore un mois ou deux et je suis parti à Buchenwald. Là j'ai été mis en quarantaine. Je suis resté 41 jours. |
J.G. K.T. |
Vous
étiez en groupe? Encore un groupe de Tziganes de Belgique ou vous étiez...? On était peut-être cinq ou six à partir. Nous sommes partis à Buchenwald et on a fait 41 jours, là-bas. Et là ils nous ont dispersés dans le camp. |
J.G. K.T. |
Vous
avez été à Dora, vous? Oui. J'ai été à Dora et de Dora j'ai changé encore de camp, à Ellrich. |
J.G. K.T. |
Et
vous travailliez à quoi? Toutes sortes... |
J.G. K.T. |
On
ne vous a pas mis dans des usines de construction d'aviation? Rien du tout. Ils nous ont mis pour faire les ... |
J.G. K.T. |
Mais quand
vous étiez à Buchenwald et
à Dora, vous saviez qu'on
avait tué toute votre famille? Je les ai vus morts...oui. |
J.G. K.T. |
Oui
mais après, quand vous êtes parti, on a tué tous ceux qui vivaient
encore. Est-ce que vous avez su cela? Quand j'ai quitté le camp d'Auschwitz mes trois frères...il y en avait encore un seul qui vivait. Oui... enfin...et les deux autres étaient déjà morts...trois frères et mon père. Je l'ai vu mort, j'étais encore là. C'était avant que je parte. |
J.G. K.T. |
Mais
vous saviez qu'après votre départ on a liquidé tout le camp tzigane? Oui... Ils choisissaient les plus gros, donc les plus forts pour les mettre... pour construire de nouveaux camps pour mettre d'autres prisonniers dedans. |
J.G. K.T. |
Vous
n'avez jamais su ce qui est arrivé a ceux qui restaient à Auschwitz? Non. Le dernier camp d'où j'ai été évacué...ils ont ramassé tout le restant du camp et ils l'ont brûlé. |
J.G. K.T. |
Est-ce qu'il
y a eu beaucoup de gens qui sont morts à Buchenwàld
quand vous étiez ensemble? Je ne saurais pas les compter. |
J.G. K.T. |
Mais de
votre groupe, de ceux qui venaient de Belgique? Il n'y en avait plus. Ils sont tous morts à Auschwitz. |
J.G. K.T. |
Mais vous êtes
parti avec un groupe? Je suis parti avec cinq, six Belges et on est restés, les cinq, six Belges. |
J.G. K.T. |
Vous êtes
parti en avril et il y a notamment Auguste Maître,
Michel Lagraine, Joseph
Toloche... Ils étaient tous morts. Toloche était avec moi, les Maître... deux, trois. Comme Belges, on est partis à cinq, six, mais il y en avait d' autres groupes. |
J.G. K.T. |
Et
vous, les Belges, vous êtes restés ensemble pour travailler? Oui...enfin changer de blocs, seulement. |
J.G. K.T. |
Et
à votre avis, comment, vous, vous avez résisté? Parce que je ne recevais pas beaucoup de coups. J'en recevais mais enfin ceux qui ne travaillaient pas, on les tuait à coups de matraque. J'ai bien résisté...j'ai mis toute ma force. |
J.G. K.T. |
Parce
que de ceux qui sont partis avec vous à Buchenwald
il n'y en a que quatre qui sont restés vivants. Tous les autres sont
morts. De coups...? On est partis à 350...morts de coups, de faim... |
J.G. K.T. |
Et
au fond, vous êtes resté avec Auguste Maître
et Joseph Toloche. Oui. Auguste est mort, maintenant, il n'y a pas très longtemps. |
J.G. K.T. |
Vous, parce
que vous étiez plus fort? Plus fort et puis j'étais jeune à cette époque, j'avais 15, 16 ans... |
J.G. K.T. |
Est-ce
que vous étiez marié à cette époque? Non, non. |
J.G. K.T. |
Quand vous
parlez de votre tante, Louise Maître,
c'est votre tante? Oui. Elle est aussi revenue. Elle a toujours été toute seule dans les camps. Elle est revenue et est morte, ici, en Belgique |
J.G. K.T. |
Elle
a été arrêtée avec vous, à Tournai? Oui. Elle avait 4 fils et son mari qui sont morts, là-bas. |
J.G. K.T. |
Quand on
veut dire ce que vous êtes, vous êtes un Rom Lavari Kelderas? Kelderas. |
J.G. K.T. |
Et Madame
Modis, qui est là m'a dit qu'elle est plutôt Lovari. De la mère, mais le père était un Kelderas, |
J.G. K.T. |
Les Rom qui
étaient en Belgique, c'était quelle branche? Surtout des Kelderas? Surtout des Kelderas. Il y avait des Lovara.. .Montche.. .Montche |
J.G. K.T. |
Il
n'y a pas eu de Sinti? Non, non. Nous autres,on ne voyage pas beaucoup avec les Sinti. |
J.G. K.T. |
Ils
restent sur place, plutôt. Oui. |
J.G. K.T. |
Est-ce qu'il
y avait, en Belgique, beaucoup de Rom qui étaient sédentaires, qui
habitaient...qui ne bougeaient plus? Non, non. Ils voyageaient toujours. |
J.G. K.T. |
Vous n'avez
pas connu ceux qui ont été arrêtés en France et qui ont été à
Mulsane, à Montreuil-Bellay? Non, je ne les ai pas vus. Il y avait le vieux Boudin qui était à Mulsane. Le vieux, tu ne l'as pas vu...à Monthléry? Le vieux Boudin... là derrière...un Belge... |
J.G. K.T. |
Il est là?
C'est Victor? Oui, il est là, dans le fond. C'est lui qui a été à Mulsane, à Monthléry... Montreuil... |
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